Il ressort des dispositions de l’article L 111-4 du Code des procédures civiles d’exécution que l’exécution forcée d’une décision de justice ne peut être poursuivie que pendant dix ans, sauf si les actions en recouvrement des créances qui y sont constatées se prescrivent par un délai plus long.
Simplifiant à l’excès, on a coutume de dire qu’on dispose de dix ans pour exécuter un jugement ; ce qui n’est juridiquement pas exact.
D’une part, le législateur prend le soin de distinguer le jugement en tant que titre exécutoire, qui aurait une date de péremption de dix ans, de l’action en recouvrement des créances constatées par ledit jugement (l’obligation en elle-même) qui elle pourrait, par l’effet de la loi, être poursuivie pendant un délai beaucoup plus long. En d’autres termes, le délai décennal n’est pas applicable si le délai de prescription de l’obligation est supérieur à dix ans (voir par exemple l’article 2226, alinéa 2, du Code civil).
D’autre part, il convient de relever que si au bout de dix ans, le jugement n’a pas fait l’objet d’une exécution forcée, l’exécution volontaire du débiteur reste toujours possible.
Cela étant dit, on pense à tort avoir fait le tour de la question sur le délai d’exécution des jugements, tant les termes de l’article L 111-4 du Code des procédures civiles d’exécution paraissent clairs.
Cependant, pour computer en pratique ce délai décennal, on se retrouve très vite confronté à la question du point de départ dudit délai. Une consultation assidue du Code des procédures civiles d’exécution ne permet pas de répondre à cette question, pas plus qu’une recherche jurisprudentielle, car à notre connaissance, aucune décision ne s’est prononcée sur la question.
Pour autant, une réponse ou du moins des pistes de réponse doivent être proposées tant la solution revêt une importance capitale en pratique.
Certains penseront que le délai de dix ans pour exécuter une décision de justice étant assez long, la question du point de départ dudit délai présentera un intérêt résiduel.
Nous pensons au contraire que la question du point de départ du délai décennal d’exécution forcée des jugements constitue dans certains dossiers un véritable enjeu.
Le cas suivant, issu de ma pratique, permet de s’en rendre compte ;
Par jugement en date du 24 juin 2010, le JAF près le TGI de Pontoise a prononcé le divorce d’entre Monsieur A et Madame B et fixé à la somme de 150 000 € la prestation compensatoire due à l’épouse.
Ce jugement a été signifié à partie le 3 septembre 2010 et n’a pas fait l’objet d’appel.
Les ex-époux s’étant réconciliés après le jugement et vécus en concubinage, Madame B n’a jamais recouvré sa créance au titre de la prestation compensatoire.
À la suite d’une nouvelle séparation du couple, en juillet 2020, Madame B entend poursuivre l’exécution forcée du jugement.
Or, si on retient comme point de départ du délai le jour du prononcé du jugement, l’exécution forcée du jugement n’est plus possible. Au contraire, si on retient le jour de sa signification à partie (3 septembre 2010) ou le jour où le jugement devient irrévocable suite à l’expiration du délai de recours (4 octobre 2010), l’exécution forcée reste possible.
Quelle solution paraît juridiquement la plus pertinente ?
Première possibilité : le point de départ du délai prévu pour l’exécution forcée est le jour du prononcé du jugement
L’article L 111-4 du Code des procédures civiles d’exécution en distinguant le jugement en tant que titre exécutoire de l’obligation qu’il constate, on pourrait en déduire que le législateur a voulu faire du délai décennal d’exécution des jugements un délai de péremption. Le jugement en tant que titre exécutoire aurait une durée de validité de 10 ans qui logiquement devrait courir à compter de son prononcé.
Pour soutenir que le jour du prononcé du jugement doit constituer le point de départ du délai visé à l’article L 111-4 du Code des procédures civiles d’exécution, certains auteurs ont fait remarquer qu’un jugement est un titre qui intervient à l’issue d’une vérification juridictionnelle ; il est revêtu de l’autorité de la chose jugée dès son prononcé. L’apparition du jugement dans l’ordonnancement juridique entraînerait une « interversion », un changement dans la nature juridique du titre de la créance. C’est la raison pour laquelle l’exécution de ce titre se prescrit au terme d’un délai de dix ans à compter du jugement (D. CHOLET, Rép. Civ. Dalloz, V° Exécution des jugements et des actes, n° 124 – F. Eudier, Rép. Civ. Dalloz, V° Jugement, n° 571 – N. FRICERO, « Notification et exécution des jugements » J.-Cl. Proc. Civ. Fasc. 513, n° 55).
Cette solution en uniformisant le point de départ du délai décennal, peu importe les situations, a l’avantage de la lisibilité. Après tout, un créancier qui ne fait pas exécuter au bout de 10 ans un jugement favorable n’est pas à plaindre !
Pourtant, si l’on s’en tient à la rédaction de l’article L 111-4 du Code des procédures civiles d’exécution, c’est une autre solution qui semble plus pertinente.
Seconde possibilité : le point de départ du délai prévu pour l’exécution forcée est le jour où le jugement devient irrévocable
En effet, l’article L 111-4 du Code des procédures civiles d’exécution prévoit que « l’exécution des titres exécutoires mentionnés aux 1° à 3° de l’article L. 111-3 ne peut être poursuivie que pendant dix ans ». Et d’après l’article L. 111-3, constitue un titre exécutoire « les décisions des juridictions de l’ordre judiciaire ou de l’ordre administratif lorsqu’elles ont force exécutoire, ainsi que les accords auxquels ces juridictions ont conféré force exécutoire ».
Or, un jugement n’acquiert force de chose jugée que lorsqu’il n’est susceptible d’aucun recours suspensif d’exécution.
Ainsi, dans notre cas d’étude, le jugement de divorce ne passerait en force de chose jugée qu’à l’expiration du délai d’appel, soit le 4 octobre 2010.
Cette solution a l’inconvénient de la complexité. En effet, quid des jugements non notifiés ou signifiés ? Est-ce à reconnaître qu’on peut poursuivre leur exécution sans limite temporelle ?
En réalité, l’article 528-1 du Code de procédure civile qui dispose que « Si le jugement n’a pas été notifié dans le délai de deux ans de son prononcé, la partie qui a comparu n’est plus recevable à exercer un recours à titre principal après l’expiration dudit délai » permet de surmonter l’obstacle. Dès lors, si le jugement n’a pas été notifié à une partie comparante, le délai de l’article L 111-4 du Code des procédures civiles d’exécution court deux ans après son prononcé.
Cependant, l’article 528-1 du Code de procédure civile n’est pas applicable en toutes circonstances puisque si une partie qui aurait eu intérêt à exercer un recours n’a pas comparu, elle n’est pas concernée par le délai de deux ans. On pourrait néanmoins faire remarquer que la question de l’exécution du jugement ne se posera pas à l’égard de la partie non-comparante puisqu’elle aura la possibilité de faire déclarer le jugement non avenu si celui-ci n’a pas été signifié dans les six mois de son prononcé comme le prévoit l’article 478 du Code de procédure civile.
En dépit de ces difficultés pratiques, la solution qui consiste à retenir le jour où le jugement passe en force de chose jugée comme point de départ du délai prévu pour l’exécution forcée des jugements est à notre sens la plus pertinente (L. MAYER, « Le point de départ du délai prévu pour l’exécution du jugement », Gaz. Pal. 2012, n° 252, p. 19).
Chacun se forgera sa propre opinion d’autant plus que la question n’a pas encore été tranchée par les tribunaux.
Posté le 07/01/2021